[Engagé autrement] Christian Pellicani : "J'essaie de réconcilier le monde du travail et l'environnement"

[Engagé autrement] Christian Pellicani : "J'essaie de réconcilier le monde du travail et l'environnement"

26.07.2019

Représentants du personnel

Suite de notre série "Engagé autrement". Le terrain qu'il avait trouvé à Marseille pour accueillir des activités sociales et culturelles étant menacé par un projet routier, Christian Pellicani, alors secrétaire du syndicat CGT de la région PACA, a basculé dans la défense de l'environnement, au point de devenir président d'une association environnementale nationale. Interview de ce syndicaliste, toujours élu CHSCT.

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la défense des salariés puis dans celle de l'environnement ?

"En 1986, la Région Paca (Provence-Alpes-Côte d'Azur), où je travaillais comme électro-technicien depuis 1982, a changé de majorité politique. Nous nous sommes retrouvés devant un "patron", Jean-Claude Gaudin, qui entendait tout réorganiser. Pour défendre nos intérêts de salariés, de bonnes conditions de travail mais aussi pour faire des propositions en matière d'organisation, nous avons recréé un syndicat CGT, dont je suis devenu le secrétaire général. J'étais également élu au sein de l'amicale du personnel de la Région, une association qui proposait des oeuvres sociales et des activités ludiques type concours de pétanque.

 C'est en cherchant un terrain pour les activités sociales du personnel que je me suis retrouvé confronté à la question de l'environnement

 

 

Et c'est en cherchant sur Marseille des terrains suffisamment grands pour ces activités -car nous étions près d'un millier de salariés- que j'ai découvert, sur la corniche, un espace magnifique qui s'appelait le théâtre Sylvain. C'était un théâtre de verdure abandonné. Cela m'a amené à rencontrer des gens qui connaissaient le lieu, soit comme lieu de culture, soit comme un lieu vert et boisé, et qui s'inquiétaient de le voir détruit. Il était question de faire passer une rocade à cet endroit, ce qui aurait fait disparaître cet espace vert ! On s'est battus, et au bout de 3 ou 4 ans, nous avons gagné. La mairie a réhabilité le site comme un lieu de culture, afin qu'il reste un espace boisé. Cela m'a permis de prendre la mesure de l'intérêt des questions liées à l'écologie urbaine, à la défense des espaces verts. A cette époque, tout en restant secrétaire général du syndicat CGT et en continuant d'organiser des activités de loisirs pour le personnel, j'ai adhéré au mouvement national de lutte pour l'environnement (MNLE). J'ai gravi peu à peu les échelons internes de cette association, par envie et par engagement, car je découvrais d'autres sujets écologiques, comme les transports, mais aussi la mer, le tri et le traitement des déchets, etc.

Qu'est-ce que le MNLE ?

En 1981, l'élection du président socialiste tournait une longue page d'exercice du pouvoir par la droite en France, c'était une période historique assez particulière, à la fois de bonheur et de grande illusion. Le MNLE a été créé dans ce contexte par des syndicalistes, des scientifiques, des élus, en réunissant des associations qui avaient déjà un engagement écologique local, sur les rives de l'Étang de Berre et le long du Rhône notamment. J'ai adhéré plus tard, vers 1988, le temps que ma réflexion sur le sujet mûrisse, à partir de préoccupations très locales, et je suis aujourd'hui le président de cette association, qui édite une revue qui s'appelle Naturellement, et qui compte environ 2 000 adhérents.

Vous n'êtes pas, au départ, très sensible à l'écologie...

Au départ, ma réflexion sur l'environnement était faible, je me suis cultivé en fréquentant des gens qui m'ont appris beaucoup de choses et qui m'ont ouvert l'esprit sur ces sujets. Social et environnemental ne s'opposent pas forcément, c'est ce que j'ai appris à démontrer, c'est très important. Souvent, autour de l'Étang de Berre, j'ai vu des collègues de la CGT et d'autres syndicats qu étaient très gênés par les sujets liés à l'environnement, car ils pensaient que ces préoccupations pouvaient mettre en danger l'emploi local et régional.

 C'est en investissant pour ne pas polluer qu'on va arriver à maintenir l'emploi

 

Du coup, j'ai appris à faire la démonstration du contraire : par exemple, en investissant sur la maîtrise des rejets industriels, on arrive à maintenir ou à développer l'emploi, en étant plus performants, en apportant une plus-value dans sa production industrielle. Mais je dois parfois encore ramer pour convaincre, car c'est bien sûr plus facile d'être contre que pour quelque chose. Mais je soutiens qu'on ne peut pas dissocier le discours sur l'environnement de préoccupations sociales, et c'est un défi politique, ces deux enjeux doivent aller de pair. Le problème, c'est qu'il y a aujourd'hui beaucoup de communication sur le sujet. C'est plus facile d'être "vert" dans le verbe que de l'être dans les faits en prenant de vraies mesures environnementales. 

Vous défendez donc l'idée que l'emploi, le social et l'environnement sont des valeurs conciliables...

Un exemple : certains écologistes prônent la fermeture de l'usine Alteo à Gardanne (Bouches-du-Rhône), car ce site produit de l'alumine (Ndlr : d'où les boues rouges qui polluent les calanques), et ce sont, disent-ils, des industries du passé. Mais que fait-on des emplois et des salariés ? Ce que fabrique Alteo sert dans la production de téléphones portables, et ça, ça n'est pas le passé. Donc, nous proposons un projet alternatif, c'est-à-dire un traitement complet de tous les effluents dans le cadre de l'écologie circulaire pour récupérer des matériaux exploitables et afin de supprimer les rejets en mer. Mon intérêt sur ces questions me permet d'intéresser des collègues du syndicat qui étaient très loin de ces préoccupations.

En tant que militant associatif, quelles sont vos actions ?

Nous préparons l'université d'été de notre association, fin août en Haute-Savoie. Elle sera consacrée à l'environnement et à la santé, le sous-thème étant l'alimentation, avec un débat sur la façon dont est produite notre alimentation.

 Nous appelons à manifester pour le climat, en septembre

 

L'autre action prioritaire concerne l'urgence climatique. Nous menons régulièrement des actions sur le transport, la réduction émissions de gaz à effet de serre, la transition énergétique, etc. Je porte aussi ces préoccupations au sein du syndicat CGT de la Région, qui compte 700 adhérents et qui est la deuxième organisation de la Région. Lors de la dernière commission exécutive du syndicat, début juillet, nous avons décidé d'appeler à participer à la manifestation pour le climat en septembre 2019.

Où en êtes-vous de vos mandats et quelles sont vos préoccupations  ?

J'ai passé le flambeau du syndicat, tout en restant membre du bureau, et je suis désormais élu au CHSCT de la Région, qui compte 5 800 salariés. Les questions liées à la santé au travail rejoignent mes préoccupations de citoyen pour l'environnement. Nous sommes confrontées aux effets d'une politique publique qui stresse les gens.

Les questions liées à la santé de travail, que j'aborde comme élu CHSCT, rejoignent mes préoccupations de citoyen pour l'environnement

 

 

A coup de réorganisations successives et avec des critères de gestion qui font fi de l'humain, on fabrique des risques psychosociaux et des burn out, que ce soit dans les services ou dans les lycées (Ndlr : que gère la Région). Nous avons même fait un jour de grève à propos de l'aménagement des nouveaux bureaux, et ce n'est pas un thème sur lequel nous étions attendus, car nous sommes plus habitués à nous mobiliser pour l'emploi ou les salaires. Nous avons pu influencer le projet de la direction. Sur ces sujets, le CHSCT a un rôle important à jour là-dessus, c'est une instance qui dispose de moyens d'intervention face à l'employeur...

Certes, mais la réforme de la fonction publique va faire disparaître le CHSCT dans une instance unique, comme cela se fait déjà dans le privé...

La volonté du gouvernement et de la majorité actuels est de réduire comme peau de chagrin les droits syndicaux et les droits des salariés, cela me semble évident. On freine des quatre fers, mais les les réformes avancent quand même.

Nous irons peut-être plus devant les tribunaux

 

Si demain la place des instances paritaires est réduite, cela nous obligera à intervenir d'une autre manière, car il ne restera plus guère que le droit pour agir. Nous serons peut-être amenés dans les années à venir à aller beaucoup plus devant les tribunaux pour contester des dispositions nous paraissant négatives ou dangereuses pour le personnel.

Comment arrivez-vous à concilier votre investissement syndical et associatif ?

Sur le temps de travail, nous avons encore la chance d'avoir des droits syndicaux, même s'ils ont été réduits. Mais mon activité associative, je l'ai toujours menée le soir et le week end, sur mon temps de loisir.

Que vous a fait découvrir l'activité associative ?

Il y a une plus grande diversité des gens que dans l'entreprise et le syndicalisme. Quand on est confrontés à cette diversité, on se rend compte que la construction de solutions ensemble est, au départ, plus dure, plus difficile, mais qu'elle est, à l'arrivée, plus solide.

 Les salariés ont besoin du soutien des consommateurs

 

Cela m'a aussi fait réaliser que les salariés ont besoin du soutien des consommateurs. Comment défendre l'emploi si je fabrique un mauvais produit ? Mieux vaut se battre pour rendre le produit meilleur...Je trouve, au passage, qu'il n'y a pas assez de rapports et de contacts entre les organisations syndicales et les associations de consommateurs ou d'usagers, je pense par exemple à la SNCF.

Comment réconcilier les salariés avec le syndicalisme, le militantisme, la représentation du personnel ?

L'organisation du travail des salariés a changé, regardez le développement du télétravail mais aussi le travail en brigades, en différentes équipes. Pour les questions d'environnement, j'ai visité le chantier naval de Saint Nazaire qui fabrique des navires à double coque. Le travail est organisé en brigades linguistiques : il y a des ateliers correspondant à chaque nationalité européenne (polonais par exemple), et il n'y a plus de cantine collective où ils mangent tous ensemble.

Il y a la lutte, mais il faut aussi organiser des moments festifs et d'échanges

 

Le travail syndical doit donc en tenir compte. Il faut aussi intégrer le fait que le salarié a une vie hors du travail. Il faut penser des actions diversifiées, multiples, y compris ludiques. Ces moments festifs et d'échanges, je l'ai appris par l'associatif, permettent aussi de susciter la curiosité. On ne peut pas proposer uniquement que des activités emm... ou de la lutte aux salariés, même si c'est important. De plus, avec les réformes qui réduisent nos moyens et nos droits, les syndicalistes, que ce soit dans le public ou le privé, vont être obligés d'organiser des activités hors temps de  travail pour toucher les salariés, pour dépasser l'individualisme. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait les gilets jaunes, en menant des actions le samedi.

A part le syndicalisme et l'environnement, quelles sont vos passions ?

Ma famille, et le jazz, car j'adore le festival de Marseille. Mais je me déplace partout en France pour l'association de protection de l'environnement, donc, mon problème, c'est de trouver du temps (*).

La famille Pellicani va chercher ses racines

 

Cet été, je vais d'ailleurs surtout prendre des week ends, car nous avons notre université d'été fin août. Je partirai en octobre, dans la région des Pouilles en Italie, sur les traces de mes grands parents italiens. Quand ils sont venus en France, ils ont coupé tous les liens avec l'Italie. La famille Pellicani va chercher ses racines". 

(*) Ajoutons que Christian Pellicani est également conseiller municipal à Marseille, il fait partie du groupe Front de Gauche.

 

Nos précédents articles de la série "Engagé autrement"

► Jean-Paul Vouiller, coordinateur CFTC chez HP : "Le délégué social, un rôle formidable pour les représentants de proximité", article du 12/7/2019

► Chloé Bourguignon, secrétaire générale de l'union régionale Unsa Grand Est et vice-présidente d'Oxfam France : "Les associations savent davantage que les syndicats laisser une place aux jeunes", article du vendredi 19/7/2019

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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